Santé et services sociaux

Vue d'ensemble

L’organisation et le fonctionnement des établissements publics et privés de soins de santé et de services sociaux s’inscrivent dans un environnement juridique particulièrement complexe et très spécifique. Les établissements doivent composer avec une réalité de plus en plus difficile et exigeante, c’est-à-dire répondre à un éventail de besoins qui s’élargit et se diversifie, et fournir davantage de services à une population vieillissante tout en respectant des contraintes budgétaires importantes et les exigences d’un secteur fortement règlementé. Ils doivent aussi entretenir des relations étroites avec une multitude d’intervenants en amont (fournisseurs d’équipement, d’appareils et de matériel médical, ambulanciers, etc.) et à l’intérieur des établissements (médecins généralistes et spécialistes, syndicats, ministère, etc.) afin de mieux répondre aux besoins des citoyens qu’ils desservent.

 

  1. Pénurie de main-d'œuvre : Révision des ratios de personnel qualifié dans les services de garde

    Dans un contexte où la pandémie continue d’entraîner des répercussions et où l'on observe une pénurie de main-d'œuvre importante, le secteur des services de garde éducatifs à l'enfance fait face à des défis sans précédent. Ces circonstances ont conduit à une réévaluation des normes relatives à la présence de personnel de garde qualifié auprès des enfants. Le présent bulletin vise à mettre en lumière les modifications réglementaires qui ont été apportées au Règlement sur les services de garde éducatifs à l’enfance1 (le « RSGEE »), plus précisément en ce qui concerne le ratio de personnel qualifié requis. Ces modifications, formalisées par le biais du Décret 102-20242, sont entrées en vigueur le 1er mars 2024. Il est impératif pour les prestataires de services de garde de prendre connaissance de ces modifications réglementaires, puisqu’elles leur permettront d’optimiser leur fonctionnement et d’améliorer leur capacité à répondre aux défis actuels liés à l’attraction et à la rétention du personnel de garde qualifié. Contexte Le 22 juillet 2021, en raison de l’impact de la pandémie sur les services de garde éducatifs à l'enfance, des modifications ont été apportées aux exigences relatives au ratio de personnel qualifié prévues au RSGEE. En effet, pendant les neuf premiers mois suivant la fin de l'état d'urgence sanitaire, le ratio a été réduit à un (1) membre du personnel qualifié sur trois (3), puis il est passé à un (1) sur deux (2) pendant les douze mois suivants. D’ailleurs, il était attendu que les services de garde retrouvent leur niveau prépandémique, soit un ratio de deux (2) membres du personnel qualifié sur trois (3), le 1er mars 20243. Cependant,face à la pénurie de main-d’œuvre4 qui se fait ressentir notamment dans le milieu des services de garde, le gouvernement a estimé que de nombreux prestataires de services de garde ne seraient pas en mesure de se conformer à un ratio de personnel de garde qualifié de deux (2) sur trois (3), tel qu’exigé initialement à cette date. En conséquence, le législateur a modifié de nouveau le RSGEE afin de tenir compte des enjeux actuels et ainsi prévenir des fermetures ou des interruptions de service. Ces modifications sont résumées ci-dessous. Nouveaux ratios requis pour les services de garde L’article 23 du RSGEE a été modifié afin de réaffirmer la norme générale stipulant que le ratio de qualification du personnel de garde doit être de deux (2) sur trois (3). Cependant, l’article 23.1 du RSGEE prévoit désormais certaines exceptions à la règle du ratio de qualification de garde établie précédemment. Les dérogations notables à souligner sont les suivantes : Un ratio d’un (1) membre du personnel de garde qualifié sur deux (2) pourra être maintenu lors de la prestation des services de garde, et ce, jusqu’au 31 mars 2027; Un ratio d’un (1) membre du personnel de garde qualifié sur trois (3) sera autorisé durant la prestation des services de garde fournis lors de la première et de la dernière heure d’ouverture prévues à la plage horaire du titulaire de permis; Un ratio d’un (1) membre du personnel de garde qualifié sur trois (3) sera également autorisé pendant les cinq (5) premières années suivant : la délivrance initiale d’un permis d’un service de garde; la modification du permis d’un service de garde pour augmenter, de huit (8) ou plus, le nombre maximum d’enfants que le titulaire de permis peut recevoir dans son installation; la conclusion d’une première entente de subvention entre le ministère de la Famille et le titulaire d’un permis de garderie, pourvu que cette entente ait été conclue après le 31 octobre 2023. Conclusion Les modifications présentées ci-dessus, en vigueur depuis le 1er mars 2024, visent à contrer la pénurie de main-d'œuvre qualifiée qui sévit actuellement dans le milieu des services de garde au Québec. Bien que les assouplissements temporaires et les exceptions prévues au ratio de personnel qualifié puissent aider les prestataires de services de garde à garantir la continuité et l'accessibilité de leurs services, il n’en demeure pas moins que les ratios prescrits doivent être respectés.  À cet égard, il convient de souligner que le manquement à ces exigences peut mener à l'imposition de sanctions administratives ou pénales, de même qu’à une décision de suspension, de révocation ou de non-renouvellement de permis par le ministère de la Famille. Les membres de l’équipe Lavery sont à votre disposition pour répondre à vos questions. Les informations et commentaires contenus dans le présent bulletin ne constituent pas un avis juridique. Ils ont pour seul but de permettre au lecteur, qui en assume l’entière responsabilité, de les utiliser à des fins qui lui sont propres. Chapitre S-4.1.1, r. 2. Règlement modifiant le Règlement sur les services de garde éducatifs à l’enfance, D. 102-2024 (G.O. II) Règlement modifiant le Règlement sur les services de garde éducatifs à l’enfance, D. 879-2021 (G.O.II). Ministère de la Famille, Mémoire au conseil des ministres : Projet de règlement modifiant le Règlement sur les services de garde éducatifs à l’enfance, déposé le 20 septembre 2023; ministère de la Famille, Portrait de la main-d’œuvre du réseau des services de garde éducatifs à l’enfance, 2022-2023, octobre 2023.

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  2. La négligence criminelle d’un employeur maintenue en appel

    Dans l’arrêt CFG Construction inc. c. R.1 rendu le 11 août dernier, la Cour d’appel du Québec rejette l’appel du verdict de culpabilité à l’encontre d’un employeur, CFG Construction inc. (« CFG »), pour la mort d’un de ses employés par négligence criminelle. Cet arrêt impose un bref rappel quant à la responsabilité criminelle potentielle d’un employeur selon sa forme juridique, pour le décès de ses employés et les blessures corporelles subies par ceux-ci en milieu de travail. Plus précisément, l’affaire offre un rare éclairage sur le dispositif de sanction à l’encontre d’une « organisation », terme qui s’entend notamment d’une personne morale ou d’une association de personnes2, pour les fautes commises par un « cadre supérieur », le tout en vertu du Code criminel (« C.cr. »). Les faits L’arrêt découle d’un accident mortel survenu le 11 septembre 2012 sur le chantier d’un parc éolien à Saint-Ferréol-les-Neiges et qui impliquait un camion lourd de type porte-conteneurs dont CFG est propriétaire. Dans le virage d’une pente descendante, le camion se renverse dans un fossé, ce qui entraîne la mort de son conducteur, un camionneur de 25 années d’expérience au service de CFG. Au procès, l’accent est mis sur l’entretien du camion et de son système de freinage. Historique de l’affaire Cette affaire a fait l’objet d’une série de décisions. En matière de responsabilité criminelle, la Cour du Québec rend deux décisions portant sur la culpabilité de CFG et la peine qui lui est imposée. Tout d’abord, le 14 février 2019, CFG est déclarée coupable de négligence criminelle ayant causé la mort de l’employé-camionneur. Essentiellement, la Cour estime que l’omission d’entretien du camion par CFG, qui avait l’obligation légale de le faire, constitue un « écart marqué et important de la conduite attendue d’une personne raisonnable selon la nature et les circonstances entourant l’activité en cause »3. Notamment, le camion accidenté présentait 14 défectuosités majeures préexistantes à l’accident, toutes reliées au système de freinage4. De manière déterminante, la Cour établit la responsabilité de CFG par l’entremise de son contremaître-mécanicien, qu’elle considère être un « cadre supérieur » au sens du C.cr., et dont les fautes pouvaient être imputées à CFG en l’espèce5, tel qu’il est expliqué ci-après. Le 3 décembre 2019, CFG se voit imposer une amende de 300 000 $, en plus d’une suramende compensatoire équivalant à 15 % de l’amende, ainsi qu’une probation de trois ans comportant plusieurs conditions. Cette décision met en évidence les facteurs à considérer pour la détermination de la peine dans le cas d’une organisation, de même que la seule peine pouvant lui être imposée, soit une amende sans limite de montant dans le cas d’un acte criminel6. Parmi ces facteurs, le tribunal doit tenir compte des « avantages tirés par l’organisation du fait de la perpétration de l’infraction »7. À cet égard, l’omission d’engager les dépenses nécessaires à l’entretien d’un véhicule conduit par un employé peut équivaloir à un « avantage » tiré par l’employeur-propriétaire au titre de ce facteur « aggravant » quant à la peine8. Finalement, la jurisprudence « ténue » à ce sujet répertorie des amendes dont les montants fixés se situent dans une fourchette de 100 000 $ à 750 000 $ dans diverses situations9. Le dispositif légal prévu au Code criminel : la notion de « cadre supérieur » Dans son arrêt, la Cour d’appel resitue le contexte historique ayant mené à l’introduction d’un dispositif légal au C.cr. dans le but d’encadrer la responsabilité des organisations pour les décès et blessures corporelles en milieu de travail. En effet, en 2003, le Parlement adoptait la Loi modifiant le Code criminel (responsabilité pénale des organisations) (Projet de loi C-45) en réponse à la tragédie survenue en 1992 à la mine Westray, en Nouvelle-Écosse, où 26 mineurs ont trouvé la mort des suites de la désactivation des détecteurs de méthane au su des superviseurs de la mine10. Parmi les amendements clés au centre de l’affaire CFG, les articles 217.1 et 22.1 du C.cr. prévoient non seulement une obligation légale de prendre les mesures voulues pour empêcher les blessures corporelles par quiconque dirige l’accomplissement d’un travail ou l’exécution d’une tâche (ou est habilité à le faire), mais également la possibilité d’engager la « participation » d’une organisation à une infraction de négligence en raison des agissements de certaines personnes œuvrant pour elle, soit d’un « agent » ou d’un « cadre supérieur », tels que ces termes sont définis à l’article 2 du C.cr. En l’occurrence, la cause de CFG illustre, dans son ensemble, la manière dont ce dispositif légal s’enclenche dès lors qu’un employé répond à la définition de « cadre supérieur » et que celui-ci s’écarte de la norme de diligence raisonnable attendue dans les circonstances. Tel qu’il a été mentionné précédemment, la culpabilité de CFG fut retenue en raison du rôle important joué par son mécanicien responsable du garage, en ceci qu’il détenait l’autorité pour effectuer les entretiens requis sur les véhicules, y compris sur le camion défectueux11. Ainsi, CFG était dans l’obligation légale de s’assurer que ce dernier avait les compétences pour accomplir son travail et de lui fournir les instructions requises, ainsi qu’un environnement de travail et l’équipement nécessaires12. En somme, il faut retenir que : Le « cadre supérieur » est un « agent jouant un rôle important dans l’élaboration des orientations de l’organisation visée ou assurant la gestion d’un important domaine d’activités de celle-ci, y compris, dans le cas d’une personne morale, l’administrateur, le premier dirigeant ou le directeur financier »13; Cette définition « n’inclut pas seulement les hauts dirigeants et le conseil d’administration d’une compagnie »14; Ultimement, l’employé d’une organisation sera considéré comme un « cadre supérieur », selon les fonctions qu’il exerce et les responsabilités qui lui incombent dans le champ d’activité qui lui a été délégué15. Enfin, la Cour d’appel souligne que l’omission de s’acquitter de l’obligation légale prévue à l’article 217.1 du C.cr. ne crée pas, à elle seule, une infraction16. Dans les circonstances de l’affaire, c’est sa lecture conjointe aux dispositions relatives à la négligence criminelle ayant causé la mort qui permet de fonder la culpabilité de CFG, ce qui constitue la particularité de cette obligation « positive » en droit criminel. À cet égard, l’article 22.1 du C.cr. sert de point de rattachement de la responsabilité de CFG par le mécanisme de « participation » compte tenu du rôle de son mécanicien. Conclusion En définitive, l’affaire CFG témoigne de la réprobation de la négligence criminelle en milieu de travail, en marge des infractions pénales prévues par les lois du travail du Québec. D’ailleurs, on ne saurait confondre la notion de « cadre supérieur » au sens de ces lois et celle codifiée au C.cr. Tandis que la première est d’application restreinte, le « cadre supérieur » en vertu du C.cr. amène le constat d’une définition plus large afin d’y inclure, outre les administrateurs et hauts dirigeants, d’autres personnes prenant une part importante aux orientations ou à la gestion d’un champ d’activité donné au sein de l’organisation. Enfin, il est à noter que, en l’espèce, la culpabilité de CFG aurait pu découler de la conduite combinée de plus d’un agent ou d’un cadre supérieur17. La mesure dans laquelle les procédures en cette matière mettent en cause des personnes physiques, plutôt que des organisations, ou encore s’étendent au point d’atteindre chacune des personnes pouvant être tenues responsables, est une question tombant sous le sceau du pouvoir discrétionnaire de la poursuite. 2023 QCCA 1032. « organisation », article 2 du C.cr. Supra note 1, par. 10 (il est à noter, comme le souligne la Cour d’appel, que le cadre d’analyse de la négligence criminelle a fait l’objet d’une mise à jour à la suite de l’arrêt de la Cour suprême du Canada R. c. Javanmardi, 2019 CSC 54). R. c. CFG Construction inc., 2019 QCCQ 1244, par. 141. Ibid., par. 255 et 285. R. c. CFG Construction inc., 2019 QCCQ 7449, par. 84 et 149. Article 718.21a) du C.cr. Supra note 6, par. 91. Ibid., par. 163 à 167. Supra note 1, par. 60 et 62. Supra note 4, par. 35. Ibid., par. 381. « cadre supérieur », article 2 du C.cr. Supra note 4, par. 256. Ibid. Supra note 1, par. 73. Ibid., par. 72 ; voir également supra note 6, par. 14.

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  3. Est-il possible de contrecarrer les longs délais du Bureau d’évaluation médicale? Maintenant, oui

    Le marché du travail a considérablement évolué au cours des dernières années, notamment en raison de la pandémie ainsi que de ses répercussions. Les employeurs et employés au Québec ont été confrontés à de nouvelles réalités, lesquelles semblent avoir fait augmenter de façon significative les réclamations pour faire reconnaître des lésions professionnelles psychologiques tels que les troubles de l’adaptation et les dépressions1. Les délais importants du Bureau d’évaluation médicale : quelles conséquences? L’augmentation de ces cas de lésions psychologiques n’est pas sans conséquence pour un employeur et il n’est maintenant plus rare de voir les délais s’allonger de plusieurs années au niveau de la procédure d’évaluation au Bureau d’évaluation médicale (« BEM »). Le long délai d’attente afin d’obtention un avis produit par un membre du BEM provoque des conséquences majeures dans la gestion de ces dossiers de lésions professionnelles. Par exemple, plusieurs intervenants de la santé (c’est-à-dire, les médecins traitants) refusent catégoriquement de consolider une lésion lorsqu’un employé est dans l’attente d’une expertise par le BEM, ce qui peut retarder la conclusion d’un dossier de plusieurs années. Sans un avis émis par le BEM statuant sur les questions médicales en litige, il est alors impossible pour les employeurs de fixer une date pour tenir une audience ou même de tenter des discussions de règlement. De plus, ces délais peuvent même entraîner, dans certains cas, l’aggravation de la condition de santé de certains employés en raison de l’attente, ce qui peut s’avérer néfaste. Sans un avis du BEM, il peut être difficile pour un employeur de réintégrer son employé au travail sans qu’un diagnostic précis ou des limitations fonctionnelles soient déterminés définitivement. Il est alors aussi difficile pour un employeur de mettre en place les mesures adéquates pour réintégrer la personne salariée dans le milieu de travail de façon sécuritaire. Évidemment, comme c’est le cas pour plusieurs autres organisations du Québec, il manque présentement beaucoup de ressources au BEM, surtout des experts spécialisés dans la psychiatrie2. Cette problématique spécifique cause beaucoup d’enjeux au niveau de la gestion des dossiers de lésions professionnelles des employeurs du Québec, et entraîne des coûts faramineux. Cependant, pour pallier ces délais importants, une nouvelle option est désormais possible. Affaire Paccar Canada (Usine de Ste-Thérèse) Tout récemment, la division de la santé et de la sécurité du travail du Tribunal administratif du travail (« TAT ») a rendu une décision fort intéressante qui apporte une piste de solution pour les employeurs du Québec au niveau de la procédure du BEM, afin d’obtenir une expertise médicale de façon plus rapide. Dans cette affaire3, une travailleuse se blesse en faisant une chute dans le stationnement de l’usine où elle travaille. La CNESST accepte sa réclamation pour une lésion professionnelle ayant causé une contusion au coude et au poignet, une entorse cervicale et un traumatisme craniocérébral léger. Quelques mois plus tard, le médecin traitant de la travailleuse pose un nouveau diagnostic, soit une dépression majeure, qui sera par la suite reconnue par la CNESST comme étant en lien avec l’événement initial. L’employeur contestera cette décision. Toutefois, une date d’audience ne peut être fixée tant que la procédure en attente au BEM n’est pas finalisée, entre autres, sur la question du diagnostic à être retenu pour les fins de l’admissibilité de la lésion psychologique. En effet, suivant la réception du certificat médical du médecin traitant de la travailleuse reconnaissant un diagnostic de dépression majeure, l’employeur mandate un psychiatre afin d’évaluer cette dernière. L’opinion médicale du psychiatre diffère de celle du médecin traitant, notamment quant au diagnostic à retenir. En mai 2021, l’employeur fait une demande auprès de la CNESST afin qu’un avis du BEM soit rendu. En juin 2021, la CNESST fait une demande au BEM afin d’obtenir l’avis d’un membre, plus particulièrement l’avis d’un psychiatre. Un mois plus tard, n’ayant toujours pas reçu d’avis de convocation d’un membre du BEM, l’employeur demandera à la CNESST de désigner un professionnel de la santé afin que celui-ci puisse rendre une opinion médicale liant les parties, demandant à la CNESST d’appliquer l’alinéa 3 de l’article 224.1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (« LATMP »), prévoyant ce qui suit : 224.1. Lorsqu’un membre du Bureau d’évaluation médicale rend un avis en vertu de l’article 221 dans le délai prescrit à l’article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence. Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l’article 222, la Commission est liée par le rapport qu’elle a obtenu du professionnel de la santé qu’elle a désigné, le cas échéant. Si elle n’a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu’elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l’article 212 qui a fait l’objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu’elle reçoit, du membre du Bureau d’évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu’elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence. La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu’elle reçoit même s’il ne la lie pas. Nous rappelons que l’article 222 de la LATMP prévoit que le membre du BEM doit rendre son avis dans les 30 jours de la date à laquelle le dossier lui a été transmis et l’expédier sans délai au ministre avec copie à la CNESST et aux parties. Nous comprenons de l’article 224.1 de la LATMP que la CNESST sera liée par l’opinion médicale du professionnel de la santé désigné et rendra une décision en conséquence, laquelle pourra être contestée par l’employeur ou le travailleur, s’il y a lieu. Ceci permettrait ultimement aux parties d’être entendues par le Tribunal, lequel rendrait alors une décision sur le fond. Dans l’affaire Paccar, la CNESST refusera de donner suite à la demande de l’employeur, lequel demandera une révision administrative de la décision de la CNESST refusant de soumettre le dossier à un professionnel de la santé, malgré l’article 224.1 al.3 de la LATMP. C’est ce refus qui sera au cœur du litige. En effet, dans cette décision, le Tribunal doit alors déterminer s’il y a lieu pour la CNESST d’acquiescer à la demande de l’employeur. Le Tribunal répondra par l’affirmative, et ce, considérant l’incapacité du BEM de désigner un psychiatre dans un délai raisonnable. La décision Selon les prétentions de la CNESST, l’alinéa 3 de l’article 224.1 de la LATMP prévoit un pouvoir discrétionnaire, précisant que l’article indique que la CNESST peut demander à professionnel de la santé qu’elle désigne. Ainsi, le « peut » pour la CNESST lui accorde un pouvoir discrétionnaire et elle n’a pas dans tous les cas l’obligation de procéder à la désignation d’un professionnel de la santé. Le TAT précise toutefois, en considérant les objectifs de la Loi, qu’il est nécessaire que la procédure de BEM s’effectue avec célérité et efficacité. Ainsi, dans le contexte où le BEM n’est pas en mesure de désigner parmi ses membres un psychiatre, et ce dans un délai raisonnable, les objectifs de la Loi ne peuvent être atteints et il en résulte alors une situation tout à fait incohérente, à savoir que la procédure du BEM ne peut aboutir. Incontestablement, le législateur n’a pas voulu un tel résultat. Il serait alors difficile de justifier pour la CNESST qu’elle n’utilise pas son pouvoir pour désigner un professionnel de la santé, considérant que dans le cas contraire, il ne se passera rien au dossier et cela n’avantage aucune des parties impliquées, incluant la CNESST. Le TAT conclut qu’en vertu de l’article 9 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail4, il a le pouvoir de faire appliquer le troisième alinéa de l’article 224.1 de la LATMP. Dans ce contexte, notons que dans la décision Paccar, la CNESST s’est engagée lors de l’audience, advenant une décision du TAT en ce sens, à désigner dans un court délai un professionnel de la santé qui évaluerait la travailleuse et ensuite, rendrait une décision en conséquence. Informations pratiques pour faciliter vos démarches Il est très difficile de prévoir, à ce stade-ci, comment la CNESST appliquera l’article 224.1 de la LATMP dans le futur. Cependant, il n’est pas difficile de prévoir que de nombreux employeurs se retrouveront malheureusement dans la même situation que l’employeur dans l’affaire Paccar, si ce n’est déjà le cas, surtout dans les cas de lésions psychologiques. Nous pouvons penser que la CNESST n’appliquera pas d’emblée l’article 224.1 al. 3 de la LATMP, et ce, tant et aussi longtemps qu’un employeur ne lui en fera pas la demande formellement. Pour l’avenir, nous vous recommandons de bien suivre l’évolution de votre demande de BEM auprès de la CNESST : Au-delà des 30 jours qui suivent votre demande, nous vous recommandons de prendre contact avec l’agent de la CNESST assigné à votre dossier afin de savoir où est rendu le traitement de votre demande; Si votre demande n’a pas encore été soumise au BEM, nous vous recommandons de transmettre une correspondance à la CNESST dans laquelle vous formulez une demande afin que l’article 224.1 al.3 de la LATMP soit appliqué, soit que la CNESST procède à la désignation d’un professionnel de la santé. N’oubliez pas de demander à la CNESST de rendre une décision formelle quant à votre demande afin que vous puissiez demander la révision de la décision rendue si celle-ci ne vous est pas favorable. Nous vous invitons à consulter notre équipe de professionnels en droit du travail si vous êtes confrontés à une telle situation; nous pourrons vous assister dans la gestion de votre dossier. Par exemple, en 2021, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (« CNESST ») recense une hausse de 9 % des lésions acceptées attribuables au stress (1679 cas en 2021). cnesst.gouv.qc.ca cdn-contenu.quebec.ca Le BEM a recensé des statistiques quant à son organisme entre 2017 à 2022. Il est notamment indiqué qu’il y a eu une diminution du nombre d’avis produits par le BEM, passant de 11 045 en 2017-2018 à 9 651 en 2021-2022. De plus, le BEM recense une augmentation considérable du délai moyen de traitement d’un dossier (69,7 jours en 2017-2018 à 138,7 jours en 2021-2022). Paccar Canada (Usine de Ste-Thérèse), 2023 QCTAT 3989. T-15.1.

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