Brevets au Canada : la Cour fédérale confirme que le Règlement MB(AC) instaure un mécanisme de mise en application des brevets uniquement en ce qui concerne les produits qui sont effectivement offerts

Dans une décision récente de la Cour fédérale, le juge Fothergill a rejeté les demandes de contrôle judiciaire d’AbbVie concernant les décisions suivantes du ministre de la Santé (le « Ministre ») :

JAMP n’est pas une « seconde personne » au sens du paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) [le « Règlement sur les MB(AC) »];

la délivrance d’un avis de conformité à JAMP pour ses formes pharmaceutiques de SIMLANDIMC.

Préambule

Le médicament HUMIRAMD d’AbbVie a reçu une première approbation de mise en marché au Canada en 2004 à une concentration de 50 mg/mL d’adalimumab. HUMIRA est utilisé pour traiter de nombreuses affections médicales, notamment la polyarthrite rhumatoïde, la maladie de Crohn chez l’adulte et chez l’enfant ainsi que le psoriasis.

En 2016, Santé Canada a approuvé l’utilisation d’HUMIRA à haute concentration (100 mg/ml) sous la forme d’une seringue et d’un stylo auto-injecteur contenant une dose de 40 mg/0,4 ml (correspondant respectivement aux DIN 02458349 et DIN 02458357).

En fait, AbbVie a obtenu l’autorisation de commercialiser diverses concentrations d’HUMIRA sous diverses formes au Canada, mais elle ne vend activement que certaines d’entre elles soit :

  • la formulation originale à plus faible concentration (50 mg/ml) sous la forme d’un stylo auto-injecteur contenant une dose de 50 mg/ml et d’une seringue contenant une dose de 40 mg/0,8 ml, et
  • la récente formulation à concentration plus élevée (100 mg/ml) sous la forme d’une seringue contenant une dose de 20 mg/0,2 ml.

En décembre 2020 ou janvier 2021, JAMP a demandé au Canada l’approbation réglementaire de son médicament SIMLANDI, un « biosimilaire » d’HUMIRA, à certaines des teneurs qu’AbbVie ne vend pas activement, c’est-à-dire :

  • des seringues contenant des doses de 40 mg/0,4 ml et de 80 mg/0,8 ml, et
  • un stylo auto-injecteur contenant une dose de 40 mg/0,4 ml.

Dans sa présentation de drogue nouvelle (la « PDN »), JAMP a fait référence aux trois produits médicamenteux HUMIRA qui ont exactement les mêmes formes pharmaceutiques, dosages et voies d’administration que les médicaments à commercialiser sous le nom de SIMLANDI. Dans les présentes, on appellera ces trois produits médicamenteux HUMIRA (DIN 02458349, 02458357 et 02466872) les « produits HUMIRA de référence ». Au moment où JAMP a soumis sa PDN, AbbVie n’avait mis en marché aucun de ces produits HUMIRA de référence.

Dans sa correspondance avec le Bureau des présentations et de la propriété intellectuelle (le « BPPI ») de Santé Canada, et après qu’on lui a mentionné que sa PDN était incomplète, JAMP a soumis des formulaires V « sans préjudice » et a indiqué qu’elle n’était pas tenue de se conformer au paragraphe 5(1) du Règlement sur les MB(AC) puisqu’elle n’était pas une « seconde personne » au sens de ce dernier, car les produits HUMIRA de référence n’avaient pas été mis en marché au Canada depuis plusieurs années et qu’il ne s’agissait donc pas de médicaments « commercialisé[s] sur le marché canadien » comme le stipule le paragraphe 5(1).

5 (1) Dans le cas où la seconde personne dépose une présentation pour un avis de conformité à l’égard d’une drogue, laquelle présentation, directement ou indirectement, compare celle-ci à une autre drogue commercialisée sur le marché canadien aux termes d’un avis de conformité délivré à la première personne et à l’égard de laquelle une liste de brevets a été présentée — ou y fait renvoi —, cette seconde personne inclut dans sa présentation les déclarations ou allégations visées au paragraphe (2.1). [soulignement ajouté]

Le Bureau des médicaments brevetés et de la liaison (le « BMBL ») de Santé Canada a par la suite informé AbbVie de son opinion préliminaire selon laquelle les produits HUMIRA de référence n’étaient effectivement pas commercialisés sur le marché canadien. Par conséquent, le paragraphe 5(1) du Règlement sur les MB(AC) ne s’appliquait pas à ces produits de référence.

Cependant, AbbVie a soutenu que JAMP faisait néanmoins référence à un médicament qu’elle avait mis en marché au Canada, qui relève donc du paragraphe 5(1) du Règlement sur les MB(AC). Plus précisément, AbbVie a soutenu que la PDN de JAMP pour SIMLANDI faisait indirectement référence à sa seringue HUMIRA préremplie à 20 mg/0,2 ml parce que les deux produits avaient la même concentration (soit 100 mg/ml).

Il s’agissait donc de déterminer si une seconde personne qui demandait l’approbation d’un médicament contenant une ou des doses particulières (40 mg/0,4 ml et 80 mg/0,8 ml dans ce cas-ci) pouvait être considérée comme faisant indirectement référence à une « drogue commercialisée sur le marché canadien » contenant une autre dose (20 mg/0,2 ml), les deux produits ayant par ailleurs la même concentration d’ingrédient actif (soit 100 mg/ml).

La décision du Ministre

Après avoir examiné les arguments des deux parties, le BMBL a rendu sa décision définitive le 23 décembre 2021. Il a confirmé sa détermination préliminaire selon laquelle JAMP n’était pas une seconde personne au sens du paragraphe 5(1) du Règlement MB(AC), et que les obligations à l’avenant ne s’appliquaient que si la PDN de la seconde personne, « directement ou indirectement, compare [ce médicament] à une autre drogue commercialisée sur le marché canadien [...] ou y fait renvoi ».

Le BMBL a conclu que l’expression « une autre drogue commercialisée sur le marché canadien » ne désigne qu’un produit de référence qui a précisément la même dose, la même forme posologique et la même voie d’administration que le produit de la seconde personne (c’est-à-dire que la correspondance doit être précise au niveau du DIN). Le Ministre a conclu que la comparaison « indirecte » mentionnée au paragraphe 5(1) n’élargissait pas la portée des médicaments pour lesquels une seconde personne devait se reporter aux brevets inscrits au registre des brevets à l’égard de produits n’ayant pas exactement les mêmes dose, forme posologique et voie d’administration. Par conséquent, la seringue HUMIRA préremplie à 20 mg/0,2 ml qu’AbbVie a commercialisée n’était pas un produit de référence approprié pour les seringues préremplies à 40 mg/0,4 ml et à 80 mg/0,8 ml, et un stylo auto-injecteur à 40 mg/0,4 ml de JAMP.

Le Ministre a donc délivré des avis de conformité à JAMP le 5 janvier 2022 et JAMP a lancé ses produits le 13 avril 2022.

Par la suite, AbbVie a demandé un contrôle judiciaire de ces deux décisions connexes du Ministre, ce qui a mené à la présente décision de la Cour fédérale.

Finalement, la cour a donné raison au Ministre. Plus précisément, elle a conclu que, inter alia, les verdicts suivants du Ministre sont raisonnables :

  • l’expression « une autre drogue » au paragraphe 5(1) du Règlement MB(AC) se limite à un produit de référence qui doit avoir exactement la même dose, la même forme posologique et la même voie d’administration que le médicament de la seconde personne;
  • le paragraphe 5(1) du Règlement MB(AC) ne s’applique que si 1) une seconde personne soumet une demande d’avis de conformité qui compare directement ou indirectement son médicament à « une autre drogue » ou y fait renvoi, 2) cette « autre drogue » est commercialisée sur le marché canadien en vertu d’un avis de conformité délivré à une première personne, et 3) cette « autre drogue » est un médicament pour lequel la première personne a déposé une liste de brevets;
  • un médicament qui n’est pas commercialisé n’est pas protégé par le Règlement MB(AC); et
  • JAMP n’était pas une seconde personne au sens du paragraphe 5(1) pour la simple raison qu’AbbVie ne commercialisait pas sur le marché canadien les médicaments HUMIRA auxquels JAMP devait faire référence dans sa PDN.

Conclusion

Les décisions du Ministre, ainsi que le verdict de la Cour fédérale qui atteste le caractère raisonnable de ces décisions (dans l’attente de tout appel), soulignent l’un des objectifs législatifs du Règlement MB(AC), à savoir instaurer un mécanisme de mise en application des brevets uniquement en ce qui concerne les produits qui sont effectivement offerts à la population canadienne. Elles clarifient également certains effets pratiques de cet objectif législatif, à savoir que le mécanisme de mise en application du Règlement MB(AC) n’est accessible qu’à un innovateur qui met son médicament novateur en marché au Canada, et que le paragraphe 5(1) du Règlement MB(AC) ne s’applique qu’à un produit de référence qui a exactement la même dose, la même forme posologique et la même voie d’administration que le médicament à approuver.

Toutefois, les innovateurs ont quand même des recours lorsqu’il s’agit de médicaments qu’ils ne commercialisent pas sur le marché canadien. Dans de telles circonstances, bien qu’ils ne puissent pas utiliser le Règlement MB(AC) pour empêcher la délivrance d’un avis de conformité à un concurrent, ils peuvent néanmoins entamer une procédure normale devant la Cour fédérale pour la contrefaçon d’un brevet.

 

Vous pouvez consulter une copie de la décision, AbbVie Corporation c. Canada (Santé), 2022 FC 1209, en cliquant ici.

 

Notre équipe responsable de la propriété intellectuelle se fera un plaisir de répondre à toutes vos questions concernant le Règlement MB(AC).

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